Chooz : tirer tous les enseignements du procès du « management par la terreur », par Christophe Dumont

 

En ces temps de baisse des moyens des commissions d’information auprès des centrales nucléaires, mes collègues de la CLI de Chooz auraient été bien avisés de suivre hier le procès en correctionnelle de l’ancien directeur de la centrale ardennaise. J’en ai pour ma part appris plus au cours de ces onze heures de procès que je n’en apprendrai sans doute jamais au cours de ces réunions d’information ou l’on nous indique que tout va bien dans le meilleur des mondes nucléaires, et que les objectifs de production sont dépassés, dans un climat social harmonieux, que l’on en juge :

Jean Paul Joly, directeur de la centrale de Chooz de 2003 à 2008 était poursuivi car 7 de ses cadres lui reprochent des faits de harcèlement moral.

Le directeur des relations humaines ; le directeur de la sécurité ; le responsable du programme « obtenir un état exemplaire des installations » (cela ne s’invente pas) ; la déléguée à l’analyse sociale, secrétaire du comité d’hygiène et de sécurité ; la responsable de la communication ont connu pendant ces cinq ans, selon les termes des protagonistes,  une véritable « descente aux enfers ».

Le responsable de la sureté du site qui s’aperçoit  alors qu’il intervient lors d’une nuit d’ astreinte pour une suspicion d’intrusion qu’il n’a plus l’accès à la centrale ; un DRH dont les amis arrachent l’arme alors qu’il tente de se suicider, un directeur brillant et manipulateur qui vocifère et brime nombre de ses cadres, un syndicaliste qui établit pour les besoins du procès des certificats contre des employés après avoir connu une progression de carrière fulgurante  ; tels sont quelques uns des faits mis à jour lors de l’audience qui n’ont pas été sérieusement contestés .

Il aura  vraiment fallu les pousser à bout ces salariés d’EDF pour qu’ils aillent se plaindre à l’inspection du travail, quand on   connait leur esprit de corps (on est employé à vie chez EDF), leur attachement  à leur travail, et le fait que dans une centrale ce soit l’Autorité de Sureté Nucléaire, communément appelée «  le gendarme du nucléaire », qui joue ce rôle.

Il aura aussi fallu le courage d’un médecin du travail qui, constatant à partir de 2003 une forte croissance des états dépressifs, anxieux que les employés de la centrale imputaient à leur direction, prévienne sa hiérarchie. Il aura aussi fallu que l’autorité de sureté nucléaire juge ces faits suffisamment graves pour les signaler au procureur de la République et que celui-ci estime devoir ouvrir une enquête.

A la question d’un avocat de la partie civile : « pourquoi aujourd’hui cela va-t-il mieux?»

Le directeur actuel répond : « parce que j’aime les gens, Jean-Paul aussi aimait les gens….à sa manière ».

Je salue à chaque occasion le calme et l’extrême courtoisie de l’actuel directeur de Chooz, à rebours de la personnalité controversée de son prédécesseur dont il fut l’adjoint, spécialement en cette période difficile pour lui ou il a besoin de sérénité ; mais cette affaire judiciaire ne se résume pas à la question du caractère bon ou mauvais du directeur ; Quelle que soit  le verdict rendu le 15 février, il nous faudra dans les semaines à venir tirer toutes les conséquences du procès du « management par la terreur » notamment au sein de la commission d’information de la centrale dont je souhaite la tenue immédiatement après  cette date.

Il nous faudra aller au-delà du cas d’un individu  en nous demandant si ces faits n’ont pas été rendus possibles par l’opacité qui règne dès qu’il s’agit du nucléaire, domaine dans lequel les principes de démocratie et de transparence en vigueur dans notre société n’ont pas cours.

« Depuis 2009-2010, ce n’est pas parfait, c’est mieux » indiquait au procès le médecin du travail, or, comme l’indiquait l’avocat de l’ancien directeur lors du procès, la sureté en matière nucléaire est l’affaire de chacun, Pour ma part j’estime que le mythe du nucléaire sûr et pas cher vole chaque jour un peu plus en éclats et qu’il nous faut bâtir d’urgence une alternative sure et démocratique en matière énergétique.

D’ici-là essayons d’instaurer un minimum de transparence.

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